Reflets 11.2021


Rencontre avec Bert Mertens
Un parcours d’artistes, We-Art-XL, à Bruxelles, en septembre dernier, une découverte et une surprise de taille : un peintre autodidacte qui présente des portraits, des paysages, des natures mortes d’une grande beauté, simple et apaisante. Nous rencontrons Bert deux mois plus tard, dans son atelier minuscule, à deux pas de l’Avenue Louise. Son parcours n’est pas banal. Toute une carrière professionnelle sans peindre, et puis, un jour de fête, une sorte de miracle se produit : un don d’enfance ressurgit et c’est une nouvelle vie, une vie d’artiste qui commence.
Dès l’enfance, j’ai eu un tempérament artiste, même si cela s’exprimait au départ par des croquis de paysages de vacances et la calligraphie. J’ai toujours été interessé par l’art. Une fois ma vie professionnelle arrivée à son terme, je me suis spontanément remis au dessin, puis j’ai eu envie de couleurs et j’ai tenté la peinture à l’huile. En moins de trois mois, j’ai atteint un degré de maîtrise technique que beaucoup ont estimé incroyable, mais ce n’est pas sans travail que j’y étais parvenu. Je suis de nature perfectionniste et j’aime avancer à un rythme soutenu. Je n’ai pas suivi d’écolage en académie mais je me suis beaucoup documenté et j’ai suivi l’exemple de ceux que j’estime être des grands peintres.

À première vue, on retrouve les peintres hyperréalistes des années 60-70, l’une ou l’autre scène américaine de Hopper ou de Hockney, on se dit qu’on est tout près, à quelques centaines de mètres, de la fameuse galerie d’art Isy Brachot, à Ixelles, où est né le mot qui fit fureur en son temps, on pourrait penser que tu en es un peu l’héritier nostalgique, et puis on observe bien que s’il y a cette influence esthétique chez toi, elle n’est pas prédominante. Si tes huiles sont frappantes de vérité, parfois photographiques, il s’en dégage une manière très personnelle, une douce et humble poésie, une familiarité lumineuse qui procure un profond bien-être. Tu n’as pas choisi par hasard le poème de Keats comme enseigne ou comme devise… Une chose de beauté, l’âme des choses en est la source.
Je pratique un art figuratif quasi photographique mais je ne partage pas les objectifs dénonciateurs de certains hyperréalistes. Vous avez raison de pointer l’art américain, mais je ne me sens proche ni de Hopper (assez sombre) ni de Hockney, bien plutôt de la sensualité de Singer Sargent et du sourire de Norman Rockwell. Comme eux, j’aime d’ailleurs pratiquer l’art du portrait, qui est si exigeant. Si je suis héritier, c’est de Keats, qui souligne le caractère intemporel de la beauté pour ceux qui peuvent se mettre en disposition d’accueil pour elle. Car c’est avant tout une question de regard. On peut trouver la beauté en toutes choses, mêmes les plus quotidiennes : une tasse, une voiture ; C’est ce que je traduis dans ma peinture par le choix des couleurs, des lumières, parfois par un changement d’échelle qui fait apparaître un objet d’une manière inédite.
Un tableau m’a particulièrement frappé: ‘Happy-go-lucky’. Il diffuse une atmosphère de bonheur, une possibilité de vie douce, si je reprends les termes de Myriam Watthee-Delmotte, qui est la première à avoir écrit sur ton travail. Ce n’est pas courant, de nos jours, de peindre la sérénité, le charme discret de la vie quotidienne, la séduction même de la banalité… On n’est plus à l’époque des insouciances parfois spectaculaires des impressionnistes…
Aujourd’hui, le stress généralisé empêche de prendre le temps de s’arrêter pour regarder vraiment les êtres et les choses, ou pour réfléchir. Je veux, au contraire, en traitant des sujets qui émeuvent, incitent à la tendresse ou invitent au jeu, proposer une alternative à la médiocrité, à la brutalité qui occupent trop exclusivement notre horizon. C’est une question d’équilibre.
Tu pratiques aussi l’abstraction lyrique, un certain onirisme proche du surréalisme, et même la calligraphie, aux antipodes de la haute technicité ou de la virtuosité illusionniste que réclame le photoréalisme…. La peinture, à tes yeux serait-elle surtout un art de vivre, de cultiver tes envies, d’exercer ta liberté, le ‘quiet morning’ de chaque jour, de rêver de la possibilité d’une île dans notre monde tempétueux?… Cherches-tu encore un geste esthétique ou la règle du jeu sera-t-elle de te laisser guider par la seule beauté du sujet ou la valeur secrète des choses de la vie ?
J’aime le trompe l’œil, les fausses pistes, les traits d’humour, l’espièglerie, les effets de surprise, mais je ne revendique pas l’étiquette du surréalisme. Je ne cherche aucun genre. Je ne bride pas ma créativité qui peut s’épanouir dans l’abstraction autant que dans la figuration la plus minutieuse, ou dans la calligraphie qui est tout aussi technique que l’art figuratif. Je pratique un art d’authenticité qui n’est soucieux ni des écoles, ni des modes, seulement de la qualité du regard et de l’exécution.
Propos recueillis par Michel Ducobu